samedi 5 juin 2010

Montréal. La nuit.

Il y a des jours où je me dis, où j'aimerais me dire, Fuck la vie, et je vais me promener sur Ste-Cath à minuit, même si j'ai de l'école à 9h le lendemain.

Par manque de courage, je ne l'ai encore jamais fait. Ou peut-être par peur de cet inconnu pourtant si proche. On dirait que le faire l'été, c'est différent. Parce que je peux vraiment le faire maintenant, on dirait que j'en ai moins envie. Que ça m'est moins attrayant.

Pourtant, marcher la nuit dans le centre-ville ou autres coins trash de Montréal, je l'ai déjà fait. Après être sortie, en revenant d'une soirée bien arrosée ou pas. En retournant chez moi avec un ami. En pleurant de rage, de peine ou de dépit parce que la soirée n'avait peut-être pas été aussi réussie que prévu. En riant aux éclats et en criant au monde ma soif de vivre et d'exister dans ce monde qui perd parfois son sens. En étant heureuse de marcher, de me promener, hagarde au milieu des rues noires et désertées par les gens diurnes. La faune nocturne, dans les quartiers résidentiels, est furtive et inquiétante. Où va donc cet homme, qui marche vite? A-t-il trompé sa femme? A-t-il participé à une rencontre mafieuse quelconque? A-t-il tout simplement fini de travailler? Peut-être caresse-t-il le projet d'assassiner son voisin avec une pince à barbecue?

Tant de mystères. Si peu de réponses.

Il y a une différence entre marcher la nuit pour se rendre quelque part et marcher la nuit sans but, au hasard des pas et des trottoirs.

Marcher avec un ami, tout simplement, en parlant de la vie et de ses embûches. Marcher sans en avoir véritablement conscience, pour passer le temps et la vie, parce qu'on ne peut pas toujours courir. Marcher, c'est ralentir la course de l'existence, vouloir l'arrêter un temps pour constater sa réalité propre.

Je n'aime pas courir. J'ai déjà voulu aller faire du jogging, ou tout simplement faire des sprints pour me garder en forme, mais chaque fois, je n'y arrive pas plus de vingt minutes. Je trouve qu'on court déjà tellement beaucoup dans nos vies urbaines. Faut-il qu'en plus dans mes passe-temps, je décide de mon plein gré de courir encore?

Quand je cours, c'est pour m'oublier. Parce que la vitesse a cette propriété intéressante de tout brouiller autour de soi, si bien qu'on ne sait plus ce que nous côtoyons ni pourquoi. D'Adam et Ève nous ne verrions qu'une forme disparate d'un beige mat qui se fondrait sans ambiguïté dans un paysage de sable. La vitesse nous rend plus léger, ou pour reprendre Kundera, nous fait subir une insoutenable légèreté de l'être. Le fardeau de nos vies n'est rien par rapport à son vide. Un vide qui nous rend trop légers, trop flous, trop incertains. Un fardeau, quel qu'il soit, donne un sens à nos vies et nos mouvements. On sent ce fardeau. On le ressent. Et on peut le détester, vouloir qu'il disparaisse, mais c'est quand il n'est plus là pour nous alourdir que notre nouvelle légèreté nous monte à la tête et finit par devenir insupportable.

Tout de suite, nous inventons de nouveaux fardeaux pour le remplacer. De jour en jour, nous ne faisons que changer de fardeau, que déplacer ce mal de vivre et cette mésadaptation à la vie réelle. La réalité n'est que ce que nous voulons bien qu'elle soit.

Tout simplement.